SUR LES TRACES DU PASSE DE REICHSHOFFEN


Période du Moyen Âge (de 995 à 1641)
Reichshoffen en 1789






Aujourd'hui, il reste trois tours de l'ancienne forteresse de la ville.


En 995
En l'an 995, il est fait mention pour la première fois de Reichshoffen dans un document de l'empereur Otton IlI, 982-lO02, qui accorda à l'abbaye de Seltz "capellam in Richeneshovan", et dans un autre de Henri IV, 1056-llO6, qui donna en 1074 à la même abbaye des biens situés «ad Richeneshoven». Il est à noter que les rois francs possédaient, à côté de leurs aïeux, différentes villas, demeures somptueuses entourées de fermes dont les ressources devaient couvrir les frais de leurs séjours. Il était courant de faire don de ces villas et fermes à des serviteurs fidèles et dévoués tels que ducs, comtes, évêques.

En 1232
En 1232, Reichshoffen est nommé dans un acte par lequel Matthäus II, duc de Lorraine, en fait don à l'évêché de Strasbourg pour obtenir le pardon de ses fautes et assurer le salut de son âme. Les ducs de Lorraine restent cependant seigneurs et suzerains de la forteresse d'après le dictionnaire topographique de Baquol-Ristelhuber ; la construction de l'ancien château de Reichshoffen communément appelé château des Ochsenstein a été commencée en 1232. Il se trouvait au nord-ouest de l'actuel château et il subsiste encore aujourd'hui une partie de la tour située sur la limite ouest de l'ancienne forteresse.

Frédéric III, fils de Matthäus le cède en 1272 à Henri de Fleckenstein, seigneur de Sulz.

Peu après éclate la guerre entre le duc de Lorraine et Conrad III de Lichtenberg, évêque de Strasbourg. Reichshoffen passe sans cesse des mains des uns à celles des autres et ce n'est qu'à la paix, signée le Jour de la chandeleur, 1286, que Frédéric III abandonne tous ses droits sur la seigneurie et la forteresse de Reichshoffen qui deviennent propriété de l'évêché de Strasbourg.


Sur le sceau de Reichshoffen, en 1653, figurait encore les armes des Ochsenstein.

COMTES D'OCHSENSTEIN
Comtes d'Ochsenstein (1286-1485). C'est à ce moment qu'entre en scène Otton Ill d'Ochsenstein (ne pas confondre avec Otton Ill empereur, cité précédemment). Celui-ci avait combattu le duc de Lorraine et puissamment aidé Conrad III, dont il avait épousé la nièce Cunégonde. La seigneurie de Reichshoffen restera possession des Comtes d'Ochsenstein jusqu'à l'extinction de cette famille en 1485.

Le 15 juin 1286, sur les instances d'Otton III, l'empereur accorda à Reichshoffen les droits d'une ville (le texte intégral de la charte impériale se trouve aux archives de la mairie de Reichshoffen).


Ruine d'une tour de l'enceinte fortifiée de la ville.


Dans les guerres survenues entre la noblesse et les villes le nom de Reichshoffen est souvent cité durant la période des Ochsenstein. La ville est souvent morcelée en cinquièmes, sixièmes et pour cimenter certaines alliances les parts furent distribuées par-ci et par-là. L'engagement le plus violent de la période des Ochsenstein eut lieu en 1451. Dans la guerre des frères Jacques et Louis V de Lichtenberg contre le comte de Linange, Georges d'Ochsenstein épousa le parti de ce dernier, en voici la raison. En 1450, Georges, pour vider une querelle avec Jacques de Lichtenberg, le provoqua en duel. Le combat devait avoir lieu avec le consentement de l'empereur à Wissembourg hors de la ville. A cet effet, Jacques envoya à Georges, sur sa demande la mesure de sa lance et de son cheval et parut au jour et à l'heure fixés sur le terrain. Mais au lieu de s'y rendre, Georges profita de l'occasion favorable pour faire avec Schatried, une invasion armée sur les terres de Lichtenberg. Cette conduite peu chevaleresque exaspéra ces derniers et ils jurèrent d'en tirer une vengeance éclatante. Survint la guerre (1450-1451) entre Linange et Lichtenberg. Après plusieurs escarmouches, on en vint à une action générale près de Reichshoffen, le 5 juin 1451. Malgré des prodiges de valeur, Schafried et Georges furent battus, faits prisonniers et traînés dans les sombres cachots du château de Lichtenberg. Georges en sortit le corps brisé et malade pour le reste de ses jours. Après l'extinction de la famille des Ochsenstein, Reichshoffen passa aux mains des comtes de Deux-Ponts-Bitche (1485-1570).

LES COMTES DE HANAU-LICHTENBERG
Les Comtes de Hanau-Lichtenberg (1570-1664). Dans cette période se situa la guerre de Trente ans au cours de laquelle la population de Reichshoffen s'est révélée particulièrement vaillante, notamment en 1632 et en 1633. Depuis le mois d'octobre 1631, Gustave Adolphe, roi de Suède, avait à Strasbourg un agent nommé Marx de Rehlingen, originaire d'Augsbourg. Celui-ci s'occupait activement de levées que l'autorité locale se chargeait ensuite d'équiper. Quand il eut réuni un certain nombre d'hommes, il éprouva le besoin de leur trouver une garnison. Il choisit la ville de Wissembourg, alors dépourvue de troupes. La garnison de Wissembourg, bientôt renforcée par de nouvelles recrues et soutenue par les sujets du comte de Hanau qui se laissa persuader par l'envoyé suédois, entreprit contre les villages, les bourgs et les châteaux du voisinage des « raids » tantôt heureux, tantôt malheureux, toujours ruineux.

C'est ainsi que toute la cavalerie partit le 30 janvier 1632 pour tomber, sous,les ordres de Rehlingen sur Reichshoffen. Les habitants prirent les armes et forcèrent les assaillants à se retirer.

Le 10 mars de la même époque, pour se venger de son premier échec, Rehlingen fit une nouvelle tentative contre Reichshoffen. Il avait emmené 300 fantassins, 4 compagnies de cavaliers et 2 canons dont l'un resta embourbé et l'autre ne réussissait pas à provoquer une brèche. Rehlingen n'en tenta pas moins un assaut. Mal lui en prit. Les quatre-vingts bourgeois armés de mousquets et d'arquebuses, aidés de seize soldats, s'étaient bravement mis sur les murs pour repousser l'assaut. Rehlingen eut cinquante de ses braves soldats hors de combat, entre autres le lieutenant Sollinger de Strasbourg qui s'était distingué par sa bravoure au Brésil. Les assaillants se retirèrent, abandonnant leurs morts que les officiers refusèrent de chercher, par crainte de nouvelles pertes. Les assiégés, malgré le sérieux de la situation, conservaient leur humour et les quolibets fusaient de toutes parts. On croyait avoir affaire à de vrais Suédois, mais ceux-ci se révélaient être des Lapons de Strasbourg, des grignoteurs de petits pâtés (strassburgische Bastetlinsirässer). « Qu'ils apprennent d'abord à tirer correctement au lieu de casser les tuiles innocentes des toits ». Honteux devant ses propres soldats, Rehlingen devait quitter ce « petit trou » (das kleine Nest) pour regagner Wissembourg.

L'ANNEE 1633
L'Année 1633 devait être plus dramatique.
Après avoir résisté plusieurs fois, le bourg de Reichshoffen avait été conquis par les Suédois sous la conduite du général Christian de Birkenfeld (pour certains le 17 juin, pour d'autres le 30). On avait pendu les chefs de l'endroit: le schultheiss (maire) et le quartier-maître, massacré le reste de la population, à l'exception d'un petit nombre qui se racheta à prix d'argent.

Comme les Hanau et les Linange revendiquaient cette localité, on la leur avait laissée provisoirement indivisé. Ils y mirent quarante hommes, tant miliciens que soldats, auxquels se joignirent plus tard cinquante Suédois. Le 9 décembre 1633 les Impériaux, partis de Haguenau attaquèrent Reichshoffen. Les assaillants se partagèrent en deux corps. Pendant que les uns se présentaient devant les portes et y attiraient la garnison, les autres, grâce à la glace qui remplissait les fossés, escaladèrent les murs près du château, avec le concours des habitants et le surprirent par derrière. Le château fut pillé et incendié. L'aspect des ruines nous est conservé dans une aquarelle que fit en 1865 le vicomte Théodore de Bussière d'après un dessin de 1768.


Anciens remparts de la vieille ville de Reichshoffen


D'après les archives départementales de Strasbourg et celles de Colmar, Reichshoffen était totalement détruit et non habité en 1638. Le territoire était géré par le « Amtmann » de la Wantzenau. En 1641 la ville comptait six bourgeois, deux jeunes gens, cinq veuves et deux jeunes filles.



Tour des Suédois, de l'ancienne forteresse de Reichshoffen (photo SB)



Reichshoffen en 1789

LA COMMUNE DE REICHSHOFFEN EN 1789

En juillet 1789, la Révolution n'a pas touché Reichshoffen.

L'importance de la ville de Reichshoffen

En 1789, la ville de Reichshoffen, presqu'entièrement confinée dans ses remparts du 13ème siècle, compte, avec les hameaux de Wohlfartshoffen et du Lauterbacherhof, environ 2000 âmes et constitue le bourg le plus important de ce coin des Vosges du Nord.
En 1638, le Greffier de la Chancellerie épiscopale écrivait: "le bailliage de Reichshoffen est absolument ruiné par les Suédois et n'est plus habité".

Comment peut-on expliquer cette renaissance de Reichshoffen ?

- par le retour de ceux qui avaient pu fuir à temps
- par l'importante immigration de français et d'étrangers, autorisés dès 1662, par Louis XIV, à "se retirer dans le dit pays d'Alsace pour s'y habituer et en faire valoir les terres restantes". Suisses, Tyroliens et Luxembourgeois viennent donc s'y fixer nombreux.

En effet, la Commune dispose de nombreuses terres disponibles, de grandes forêts fournissant bois de construction et de chauffage (cent cinquante fagots et huit stères par citoyen), de nombreux pâturages communaux et consent de larges exemptions d'impôts aux nouveaux venus.

De plus, les usines de Dietrich, installées à Jaegerthal en 1684, à la Schmelz en 1767, offrent de nombreux emplois d'ouvriers, de bûcherons et charbonniers, de voituriers.



La Municipalité de Reichshoffen

Fin 1789, les affaires de la Commune sont dirigées par un syndic, Héberlé, et une dizaine d'officiers municipaux dont Amann, Fritsch, Hentz, Müller, Schleininger, élus par les citoyens payant plus de dix livres d'impôts. Le Maître d'école Lehman rédige les procès-verbaux des séances qui se tiennent généralement le dimanche matin, après la messe, en présence du Curé et parfois du Seigneur Jean de Dietrich.

Ce n'est que le 30 août 1789, que les premiers échos officiels de la Révolution parviennent à Reichshoffen : le syndic lit les 19 articles d'une ordonnance du 22 août sur l'abolition des droits féodaux et la suppression des privilèges de la Noblesse et du Clergé (nuit du 4 août) et lit une lettre envoyée par l'Intendance royale de Colmar, dans laquelle on demande aux municipalités de recruter des jeunes gens afin de chasser la populace de Paris ...

De nouvelles élections municipales ont lieu en 1790. Le Sieur Millet devient ainsi le 1er Maire de Reichshoffen, mais nommé au Conseil Général de Bas-Rhin, il est remplacé par Mathias Schleininger le 25 juillet 1790. Celui-ci jure fidélité au Roi et jure de défendre "jusqu'à la dernière goutte de sang", la nouvelle Constitution (élaborée en 1789 et 1790).
Le 30 juillet 1790 est instituée la 1ère Garde Nationale : les citoyens actifs, au nombre de 280, en général des pères de famille payant un impôt, ont le droit de porter des armes pour défendre les lois, maintenir la paix, faire respecter les décrets de l'Assemblée Nationale, et font office de Sapeurs-pompiers.

Le Corps municipal est chargé de "répandre les nouvelles idées à travers le peuple et surtout de gérer démocratiquement et sans ingérence extérieure, les affaires et le patrimoine de la Commune".

En effet, Reichshoffen est déjà une commune sinon riche, du moins aisée. Ses recettes, en 1763, s'élèvent à trois mille quatre cent quatre vingt deux livres, provenant pour l'essentiel de la location des champs et des prés, de l'exploitation des nombreuses forêts. La location des emplacements pour les marchés du jeudi et pour la foire de la St Georges et de la St Michel, rapporte soixante livres. Les juifs, quant à eux, payent cent soixante seize livres comme droits de pâturage et de glandée.

Cette aisance permet à la Commune de disposer d'une école, d'un nouveau Corps de garde avec prison "en pierres de taille sur les façades et les pignons" et d'une église neuve.

En janvier 1790, le Conseil municipal conteste ouvertement certaines sommes versées au Baron de Dietrich en temps que droits féodaux : ces droits représentent pour les paysans un poids insupportable et les démêlés avec le Seigneur sont nombreux depuis 1761.

Les années difficiles

A partir de 1790, Reichshoffen connaît des années difficiles.

Le 20 avril 1792, la France déclare la guerre à l'Autriche. En 1793, la Commune doit lever des volontaires en vue de renforcer l'armée du Rhin : de nombreux jeunes se font déclarer inaptes au service et certains employeurs (le menuisier Héberlé et le papetier Blum) exigent que leurs ouvriers soient exemptés. L'Alsace du Nord devient jusqu'en 1814, un champ de bataille. Les troupes autrichiennes et prussiennes qui occupent rapidement le Nord-Est, sont repoussées après la victoire de Valmy (20 septembre 1792), puis reviennent en 1793.
Le 22 décembre 1793 a lieu la bataille de Reichshoffen. Le front entre les troupes françaises et allemandes suit le cours du Falkensteinerbach et de la Moder.

Les Autrichiens avaient construit trois puissantes redoutes, armées de canons à gros calibre sur le ban de Reichshoffen, l'une au-dessus de la Schmelz sur le Mühlberg, la deuxième à la porte même de Reichshoffen sur le Faubourg de Niederbronn et la troisième sur la route de Froeschwiller au lieu-dit Neuwald. L'armée française est installée en face sur le Finkenberg, sur les collines vers Oberbronn et à Niederbronn.



Le Général Louis Lazare HOCHE (1768-1797)
A 25 ans, il était général, commandant en chef de l'armée de Moselle.
Il meurt de maladie à 29 ans alors qu'il sert encore son pays.
Hoche est né le 25 juin 1768 dans le faubourg de Montreuil à Versailles

"Arrivée en Moselle, Hoche commence comme toujours par régler les problèmes d'intendance. Il y a pénurie de vêtements et de chaussures, les hommes portent des habits légers et n'ont pas tous des chaussures. En plein hiver, dans les Vosges, ça vous fait perdre une guerre ! A Paris le Comité ordonne à Hoche de reprendre Landau que l'armée du Rhin a dû abandonner en octobre. Hoche préfèrerait laisser passer les froideurs de l'hiver et se donner le temps d'établir un plan d'attaque. Mais quand le comité ordonne, les généraux qui tiennent à leur tête exécutent. Hoche lance donc ses hommes à l'assaut de Landau. Les conditions de la victoires n'étaient pas réunies (doux euphémisme), et Hoche essuie un sévère échec. Ses choix stratégiques étaient discutables, et associé à une méconnaissance du terrain, au froid et au manque d'effectif, il était logique qu'il perde cette bataille. En période de Terreur, cette défaite aurait pu lui coûter la vie, mais le Comité de salut public apprécie ce jeune homme fougueux et lui conserve sa confiance.
Après ce premier échec, Hoche modifie son plan de bataille. La victoire se dessine alors. Il prend Wissembourg et libère Landau.
Il est pressenti pour commander les armées du Rhin et de la Moselle. Mais Saint-Just qui préférait nommer Pichegru à ce poste, le dénonce au comité de salut public. Et le voilà qui passe du statut de héros à celui de prisonnier !
Emprisonné à la conciergerie, Hoche attend de monter sur l'échafaud. Ce jeune homme de 26 ans, jeune marié, ne doit la vie sauve qu'à la chute de Robespierre. Il recouvre alors la liberté".



Le Général Hoche qui commande ces troupes, contourne les ouvrages fortifiés autrichiens. Le 12 décembre, il occupe Nehwiller et de là, il prend Froeschwiller le 22 décembre, obligeant ainsi les Autrichiens, menacés d'encerclement, à retirer leurs troupes de Reichshoffen, et à battre en retraite d'abord à Haguenau puis vers Wissembourg. "Les redoutes ont été emportées à la pointe de la baïonnette" note Hoche, le soir du 22 décembre. Haguenau est repris le soir de Noël, Wissembourg le 28 décembre.

Après la victoire française, le Curé Lambrecht et le Vicaire Holdermann, réfractaires à la Constitution Civile du Clergé du 12 juillet 1790, émigrent en Allemagne, suivis d'une centaine de leurs paroissiens.

Les occupations successives ont mis à mal les finances de la Commune. Le 23 octobre 1793, elle est obligée d'emprunter six cents florins et de vendre par adjudication une centaine d'arbres.

Pour faire face aux difficultés, l'Assemblée a confié le contrôle des affaires au Comité de Salut Public qui instaure un régime de terreur. Le 5 mai 1793, plusieurs conseillers municipaux de Reichshoffen sont suspendus de leurs fonctions pour s'être opposés aux injonctions gouvernementales. Le 8 octobre 1793, d'autres sont mis en prison pour vingt-quatre heures pour avoir refusé de discuter la réglementation du prix maximum des céréales et des denrées alimentaires imposée par le gouvernement. La loi oblige, en effet, les paysans à faire la déclaration des surfaces ensemencées et des récoltes et les commerçants, celle de leurs stocks.
Les archives relatent de nombreux cas de citoyens punis pour avoir détourné ou acheté en fraude des marchandises contingentées. Ainsi, une veuve est mise en prison parce qu'elle avait acheté environ vingt litres de blé. Une fille est condamnée à être promenée dans les rues de Reichshoffen, le dimanche après l'office, la gerbe de blé volée attachée au cou, puis à être incarcérée pour huit jours. Le Conseil municipal doit mettre en place un Comité de surveillance de la moisson aussi bien pour décourager d'éventuels voleurs que pour contrôler les paysans qui n'étaient pas enchantés de livrer leurs récoltes à l'armée car elles étaient payées en assignats.


Le 2 mai 1794, se présente chez Jacques Gerber, tanneur à Reichshoffen, le commissaire Jean Jost de Strasbourg pour réquisitionner, à travers le département, tous les cuirs disponibles; en effet, Saint-Just avait dit: "Dix mille hommes sont nu-pieds dans l'armée ; il faut que vous déchaussiez tous les aristocrates et que demain à dix heures, les dix mille paires de souliers soient en marche pour le Quartier général".

On surveille de jour et de nuit les maisons des émigrés, car un certain nombre d'entre eux sont revenus et vivent cachés. Ainsi, le 3 mai 1794, un membre du Comité de surveillance se présente le soir à 1Oh 00 et frappe à la porte de la maison de Catherine Hassenfratz. Son mari a émigré. L'agent se satisfait de la réponse et sort. Mais au lieu de s'en aller, il colle son oreille contre un volet. Et bientôt, il entend une voix d'homme à l'intérieur. Il retourne dans la maison. "Um tausend Gotteswillen, verzeih !" (par amour de Dieu, pardonne-moi), dit la dame. Mais rien n'y fait : Catherine et son mari sont arrêtés.

Le 6 mai 1794, est arrêtée la cabaretière Wolff pour avoir refusé de vendre de la bière aux gendarmes sous le prétexte mensonger qu'elle n'en avait plus. Après contrôle de la cave, elle est arrêtée.

Certains profitent des troubles pour régler des comptes personnels. C'est ainsi qu'en automne 1793, un citoyen est heureux de voir arriver les troupes autrichiennes pour faire arrêter son voisin avec lequel il était en litige et le faire conduire au "camp des tyrans" à Langensoultzbach. Aussitôt les Français revenus, ce voisin porte plainte à son tour et fait arrêter le premier citoyen.

A partir de juillet 1793, les libertés conquises en 1789 sont supprimées par la Terreur. Le Conseil municipal n'est plus élu mais nommé par les instances départementales. A Reichshoffen sont mis en place certains conseillers "bons patriotes et véritables sans-culotte" qui s'en prennent à leurs concitoyens et les font arrêter sans vergogne, qui mettent en vente les biens confisqués de l'Eglise, (soixante-six arpents de l'Hospice des pauvres) et une partie importante des biens communaux dont ils se portent acquéreurs à bas prix en payant avec des assignats.

Somme toute, les choses se sont relativement bien passées, les Reichshoffenois, contrairement à leurs voisins de Dauendorf, Ettendorf et Oberbronn, ne se sont pas laissés aller à des actes de violence contre le château seigneurial, la maison communale avec le corps de garde, l'église.


LA SEIGNEURIE DE REICHSHOFFEN EN 1789




I - En 1789 le SEIGNEUR DE REICHSHOFFEN est le BARON JEAN DE DIETRICH et ce, depuis 1761.

C'est en effet à cette date que Jean de Dietrich, récemment anobli par le roi Louis XV (mais également fait baron d'empire en 1762), achète à François duc de Lorraine, époux de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, "la Terre et la Seigneurie de Reichshoffen ... petite ville fermée ci-devant de murailles, avec pont-levis aux deux portes, fossés remplis tout alentour et le château tout joignant dans l'enclos des murailles de la ville, aussi entouré d'eau, mais ruiné par le feu, n'y restant plus que les murailles".

En acquérant les seigneuries d'Oberbronn et de Niederbronn, tout ou partie, le Comté du Ban-de-la-Roche, il devient le plus riche propriétaire terrien d'Alsace. (Quelques bornes à ses armes "dans un écu d'azur un soleil d'or, l'écu timbré d'une couronne de baron" sont encore visibles au Sandholz et sur les collines vers Oberbronn).

Parmi ses ancêtres il faut citer Didier Demange qui, pour échapper aux persécutions dont sont victimes les protestants dans le duché de Lorraine, s'établit en Alsace au milieu du XVIe siècle, devient Dietrich Sonntag et fonde une famille bourgeoise enrichie dans le commerce et les affaires bancaires, et Dominique Dietrich qui, en 1681, négocie la reddition de Strasbourg à Louis XIV mais préfère s'exiler plutôt que de renier le luthéranisme.

II - Mais JEAN DE DIETRICH est également, en 1789, L'UN DES PLUS PUISSANTS INDUSTRIELS DE FRANCE
(plus important que De Wendel en Lorraine).

a) Il hérite des forges de Jaegerthal rachetées par sa famille en 1684, il construit deux hauts-fourneaux à Reichshoffen sur l'emplacement d'un ancien moulin seigneurial, une forge et un laminoir au Rauschendwasser en 1767, une forge à Niederbronn en 1769. Il rachète la forge de Zinswiller en 1769, celle de Rothau en 1771 et enfin celles de Mouterhouse et Mertzwiller, et élimine ainsi toute concurrence dans l'exploitation des matières premières et la vente de produits finis : les fers marqués du "cor de chasse" depuis 1778 sont d'une qualité telle qu'ils peuvent être vendus à l'arsenal militaire de Strasbourg et à la fabrique d'armes de Klingenthal.

b) Ses usines utilisent la force motrice du Schwarzbach, du Falkensteinerbach et de la Zinsel. Elles consomment d'énormes quantités de bois: en 1786 - 80.000 stères de bois sont transformés en charbon de bois dans les forêts de la région (9000 hectares dans celle de Bitche par exemple). Elles transforment le minerai de fer en provenance de Jaegerthal, de Mietesheim et de Lampertsloch. Elles emploient, en 1787 - 918 personnes : 300 mineurs, 150 bûcherons, 140 charbonniers, 160 voituriers et 168 ouvriers "productifs".

c) A la Schmelz il n'y a au début que 4 fondeurs, 6 chargeurs, 2 pileurs de castine (kalkstein servant de fondant) comme ouvriers hautement qualifiés, originaires de Bâle ou de Solingen. De ceux dont Frédéric de Dietrich, fils de Jean, écrit en 1789 : "en général les salaires sont très considérables, il y en a qui gagnent plus de 72 livres par mois". Et le baron affirme : "En ce moment-ci je fais subsister 1500 familles par le roulement des quatre forges qui appartiennent à mes différentes terres ... et la quantité de pauvres que j'emploie me bénissent" (on aurait pourtant voulu entendre ce que les salariés en disent !).

En l'absence de journaux comptables et de bulletins de salaires, il est impossible de chiffrer le mieux-être que les forges de Dietrich ont apporté à Reichshoffen.

Les nouveaux ouvriers à côté de leur emploi gardent une petite exploitation agricole devenant ainsi ouvriers-paysans. Mais les édiles municipaux voient la chose plutôt d'un mauvais œil : on limite les droits de pâturage et de glandée de cette nouvelle catégorie sociale. On fait borner et clôturer les jardins, tous situés en dehors des murailles de la ville, "pour contenir l'avidité des ouvriers". Les nouveaux-venus ne peuvent plus élever de gros bétail : une ou deux chèvres, un ou deux porcs. Et la tradition des "Geissebüre" va durer jusqu'au XX' siècle.

Notons également qu'à la fin du XVIIIe siècle, la poussée démographique à Reichshoffen et dans les environs est la plus forte d'Alsace, identique à celle que l'on constate en Allemagne, alors qu'elle est régressive en France. Et contrairement aux villages avoisinants, Reichshoffen ne connaît pas d'exode rural malgré la médiocrité du sol; la Schmelz est un foyer d'attraction, si bien que les murs de la ville ne peuvent plus contenir le flot des nouveaux arrivants.

Et de plus, pendant la Révolution, le Comité Départemental de la Mendicité constate que le taux des pauvres à Reichshoffen n'est que de 5 % contre 15 à 20 % dans l'ensemble du département.

d) En 1789, les "de Dietrich" ne sont pas les seuls employeurs à Reichshoffen : la papeterie Blum (40 ouvriers), une tuilerie, un moulin à huile, un moulin à farine établis sur le Schwarzbach, une deuxième papeterie, une huilerie, une tannerie sur le Falkensteinerbach emploient une nombreuse main d'œuvre et le maître-maçon Christian G'STYR travaille avec de nombreux ouvriers sur de grands chantiers (Schmelz 1766, forges de Niederbronn 1769, château de Dietrich 1770, église de Reichshoffen 1771, presbytère protestant de Niederbronn 1775).

Cependant, ils fournissent, directement ou indirectement, du travail à de nombreux habitants de Reichshoffen, ce qui explique l'ambiguïté des rapports entre les habitants et leur seigneur. En effet, les convois transportant le minerai de fer, le charbon de bois, la castine, le sable, les gueuses, les produits finis, abîment beaucoup l'unique rue traversant Reichshoffen, et les routes menant vers Niederbronn, Gundershoffen et Jaegerthal. D'où le mécontentement des paysans de la commune à qui en incombent l'entretien et la réfection par travaux de corvée. Au printemps de l'année 1789, les paysans s'en prennent aux voituriers des forges, au service du seigneur, qui refusent de payer le péage en traversant les ponts de la commune. Des chevaux sont confisqués et la justice doit intervenir. Ce n'est là qu'un épisode du long conflit qui oppose Reichshoffen à son seigneur et qui a abouti à un procès. Le problème se complique encore quand on sait qu'un certain nombre de ces voituriers sont des paysans de Reichshoffen déchirés entre leur appartenance à la commune et leur gagne-pain aux forges de Dietrich. Ainsi, en 1772 déjà, lors d'une assemblée des 208 citoyens actifs de la commune, 28 votent contre la continuation du procès intenté au baron. Peut-être craignaient-ils pour leur emploi ?

III - LES DE DIETRICH SONT PRIS DANS LA TOURMENTE REVOLUTIONNAIRE.



En 1793, le fils de Jean de Dietrich, Frédéric, premier maire élu de Strasbourg, meurt sur l'échafaud et Jean de Dietrich "père du traître de ce nom" est arrêté et interné. Ses biens et ses forges sont mis sous séquestre par la Commission des Armes et Mines de la République. L'administration de l'usine de Reichshoffen est confiée au citoyen Auguste Didier, qui rencontre immédiatement de grandes difficultés : hommes et chevaux réquisitionnés pour la guerre, bâtiments occupés par les armées. Libéré à la fin de la terreur, Jean de Dietrich meurt le 1er janvier 1795, son petit-fils Jean Albert Frédéric abandonne sa carrière d'officier pour reprendre l'affaire familiale au bord de la ruine et fait lever le séquestre en septembre 1795. Pour réunir l'argent nécessaire à relancer les activités des forges, il s'associe à un banquier, Karth, vend des immeubles à Niederbronn et à Strasbourg et même en 1804 son château à Mathieu de Favier (il est cédé en 1811 à son beau-frère Paul Athanase de Bussière, devient par mariage propriété de la famille de Leusse avant de redevenir propriété de Dietrich après la deuxième guerre mondiale). Lorsqu'il meurt en 1806, sa jeune veuve, Amélie de Berckheim, conduit l'entreprise "Veuve de Dietrich et fils" au succès, grâce en partie, aux indemnisations que la famille arrive à se faire payer par l'empire allemand en tant que "princes possessionnés en Alsace". C'est sous sa direction que la Schmelz est transformée en ateliers de construction "de diverses espèces de machines".

Essayons d'expliquer pourquoi les 2000 habitants de Reichshoffen ne se sont pas révoltés en 1789 comme les habitants de Strasbourg ou les paysans de Neubourg, Mertzwiller et Oberbronn.
Le souvenir des massacres, des pillages et des incendies dont avait souffert Reichshoffen, des ruines du château rasées en 1770 était-il assez vivace pour dissuader nos ancêtres de se laisser aller à des actes de violence qui risquaient de se retourner contre leurs auteurs ?
Le niveau d'instruction (4 jeunes hommes et 14 jeunes filles sur 18 couples ne savent pas signer de leur nom le registre des mariages en 1788) était-il encore trop faible pour donner à chacun conscience de ses droits et de sa dignité ?
Jean de Dietrich perd, la nuit du 4 août 1789, son titre de Seigneur mais reste le patron de la Schmelz et des autres forges et les salaires, même faibles, assurent un certain bien-être aux ouvriers-paysans. Malgré le procès dont il a été question, ses rapports avec les habitants ne sont pas mauvais : "Je suis revenu hier à Reichshoffen, écrit-il le 4 mars 1771, ... j'ai rendu mes bonnes grâces à la communauté ... La joie a été générale; j'ai lieu d'être content de la conduite des habitants et me suis aperçu avec grand plaisir de leur attachement" (propos du seigneur de Dietrich et non de la population !).
Enfin, en 1789, les habitants et leurs conseillers municipaux sont si préoccupés par des problèmes concrets (agrandissement et embellissement de la ville, bonne gestion du patrimoine commun, instruction et éducation des enfants ... ) qu'ils ne se sentent pas concernés par les idées abstraites de liberté et d'égalité.




Source des informations Société d'histoire de Reichshoffen et environs



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